Les enfants sont-ils vraiment à la maison ?
Quand on dit : école à la maison, homeschooling, instruction en famille, on imagine immanquablement des enfants à la maison. Mais sommes-nous vraiment enfermés dans nos maisons sans contacts sociaux ? A cette question, nous répondons unanimement : non !
Les enfants instruits à domicile ne restent pas tout le temps à la maison et même bien au contraire ! La démarche pédagogique des familles vise avant tout à permettre aux enfants de se construire autour d’expériences riches et variées. Les enfants ont l’avantage de disposer de temps, ce qui leur permet de vivre des expériences nombreuses.
L’apprentissage DANS le monde est l’essence-même de l’instruction hors établissement scolaire (IHES). C’est le SENS de cette démarche pédagogique.
Quand il y a 10 ans, nous avons commencé l’école à la maison […] beaucoup de nos amis nous ont demandé si nous n’avions pas peur de les désocialiser. […] Aujourd’hui ces mêmes personnes nous affirment que nos enfants sont devenus tout le contraire de ce qu’ils avaient imaginé : des garçons qui ont le contact très facile, qui n’ont pas peur d’aller vers n’importe quel adulte pour leur poser une question ou simplement discuter.- L’école à la maison, une liberté fondamentale — Jean-Baptiste et Marie Maillard
Nombre d’enfants vaudois et socialisation : l’équation magique
Aujourd’hui le canton de Vaud a atteint une masse critique (0.95% environ) d’enfants en âge de scolarité obligatoire sont instruits hors des établissements scolaires. Ce nombre permet à chacun d’établir des liens avec d’autres familles près du domicile.
Si ce chiffre suscite parfois la crainte, il constitue pour les homeschoolers une valeur importante pour garantir une socialisation riche et variée aux enfants. Vaud s’inscrit d’ailleurs comme précurseur en matière de soutien aux familles, en étant à l’origine de la création du Forum IEF Suisse romande qui permet aux familles de prendre contact les unes avec les autres et créer des liens.
S’il est vrai qu’autrefois le risque d’isolement existait, aujourd’hui en quelques clics de souris, on trouve du monde autour de soi. Par ailleurs, avec l’émergence de groupes associatifs et parentaux, l’offre s’est étoffée et solidement enrichie. La mixité sociale dans ce contexte est importante, car les familles viennent d’horizons très variés, et la situation politique vaudoise a favorisé l’émergence d’un esprit de solidarité entre les familles dans le canton.
Retour sur la socialisation traditionnelle
Malgré toutes ces nouvelles possibilités d’échanges, la question de la socialisation continue d’être au coeur des débats.
La raison de cette crainte est peut-être due au fait que la grande majorité d’entre nous est allée à l’école. Notre apprentissage de la socialisation s’est déroulé avec les copains d’école et dans l’environnement scolaire. Qu’elle ait été heureuse ou douloureuse, notre expérience de la socialisation est notre référence, et il est difficile d’en imaginer une autre qui serait affranchie des cadres connus.
Pourtant, les enfants IHES développent une socialisation riche qui allie deux forces : une socialisation horizontale (avec les pairs) et une verticale (avec les plus jeunes et les adultes). Cette double expérience constitue l’un des aspects majeurs de l’intérêt de l’IHES que les parents évoquent après quelques années d’expérience.
Les copains hors établissement scolaire
Une socialisation horizontale
Beaucoup de temps — beaucoup d’activités
Avec un horaire flexible et beaucoup de temps à disposition, les enfants participent généralement à de nombreuses activités parascolaires à la fin de la journée ou le week-end ce qui leur permet d’être en contact régulier avec des enfants de leur âge. Les divers cours suivis permettent d’une part de compléter l’instruction à domicile (musique, sports etc…), mais aussi de passer du temps avec les enfants scolarisés en semaine. C’est aussi l’occasion de se confronter à la mécanique d’un groupe de pairs ainsi qu’aux exigences d’une discipline portée par un professeur.
Le week-end ou pendant les vacances, les enfants instruits dans et hors des écoles se mélangent. Copains de quartiers, voisins de village, les enfants ont tous en commun l’envie de jouer et d’avoir des amis.
Co-working
Pendant les heures scolaires en revanche, les enfants IHES sont davantage entre eux ou avec leur fratrie. Ils étudient parfois en co-working et les groupes parentaux se partagent leurs domaines de compétences.
Stage d’allemand
Activités et sorties
En sus, les jeunes se retrouvent lors d’activités ou de sorties organisées entre les familles via les réseaux d’échanges tels que le Forum IEF Suisse romande, le page Facebook, ou des semaines consacrées à une activité : camp de théâtre, stage de sport etc…
Une socialisation verticale
En IHES la socialisation horizontale ne constitue cependant qu’une partie de la socialisation. La composante “en famille” implique que les enfants sont par ailleurs quotidiennement en contact avec les parents, grands-parents, fratrie, voisinage etc… C’est ce qu’on appelle la socialisation verticale.
Pour de nombreux parents, cette verticalité constitue une haute valeur ajoutée, et même une raison de démarrer l’IHES.
Notre société occidentale est basée sur une organisation sociale horizontale profondément compartimentée : les crèches pour les petits, l’école pour les enfants, le travail pour les adultes, l’EMS pour les gens âgés qui ne peuvent se maintenir à domicile. Il y a donc très peu d’interpénétration entre les générations durant la semaine. Si cette segmentation horizontale permet à chacun de vaquer à ses occupations indépendamment les uns des autres, elle contribue malheureusement au démantèlement du tissu social.
Accompagner les parents au quotidien
En IHES, les enfants plus jeunes accompagnent généralement leurs parents dans les impératifs de la vie. En grandissant ils participent de plus en plus aux activités qui rythment le quotidien (courses, travail, budget, projets familiaux, voyages etc…). C’est l’occasion d’expérimenter naturellement leurs connaissances et leurs compétences dans un tissu social complet et d’évoluer avec une aisance importante dans le monde des adultes.
Cuisine en groupe : Camp artistique 2021 (EALMSR)
Apprendre en observant les plus compétents
Le cadre de vie permet aussi aux enfants de développer des compétences cognitives et sociales par l’observation d’individus plus compétents qu’eux-mêmes. Les neurones miroirs sont la clef de cet apprentissage : on intègre les savoirs en regardant l’autre, car nos neurones se mettent à la place de l’autre et “vivent” le geste, le comportement en écho. Les connaissances s’impriment profondément.
Apprendre à s’entraider
Par ailleurs, le phénomène de neurones miroirs s’applique aussi aux compétences sociales. Les enfants sont en contact avec de nombreux adultes, des aînés ou des camarades plus âgés qu’ils ont tout loisir d’observer.
De très nombreux parents sont attachés à encourager les enfants à développer leur sens de l’empathie, la gestion non violente des conflits et le remplacement de la compétition par l’entraide.
Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui pour les spécialistes en neurosciences qu’il faut des modèles plus compétents, des modèles en grand nombre, pour offrir à l’enfant une palette de comportements adéquats à observer et imiter. Il est illusoire de croire que l’enfant peut apprendre une compétence sociale de qualité d’un autre enfant de son âge qui la maîtrise aussi peu que lui. D’ailleurs, il est intéressant de noter que les familles témoignent massivement d’une amélioration des relations dans la fratrie avec l’IEF et une augmentation de la capacité à collaborer au sein de la fratrie.- Panorama de l’IHES dans le canton de Vaud — apprendre à travers l’IHES — les neurosciences
Engagement et développement des rapports sociaux basés sur le respect des autres et du vivant
Le temps dont les enfants disposent leur permet aussi de s’investir plus facilement dans des projets sociaux, écologiques etc… qui impliquent un engagement de leur part. Cette démarche in vivo porte généralement sur des projets qui leur tiennent à coeur, ont du sens pour eux, et qui les implique dans leur village, leur quartier ou leur région. Ces projets leur permettent d’envisager leur rôle futur dans la société.
Les voyages
Finalement, les voyages sont une occasion de plus de se confronter à d’autres réalités que celles de son pays, son continent. Les familles IHES utilisent les voyages comme source importante d’apprentissages et de liens sociaux.
Certaines choisissent une approche inédite du voyage : le « Travelschooling ». Il s’agit d’une expérience internationale d’apprentissage gratuit composée de groupes de familles IHES se réunissant dans un lieu donné pour apprendre ensemble en visitant des sites historiques, culturels et d’intérêt général. Habituellement, le groupe se compose d’une dizaine de familles. L’une d’entre elles accueillera l’événement dans sa ville ou sa région, et les enfants apprennent à créer des liens sociaux nouveaux.
Conséquences d’une socialisation verticale
Ce contexte très riche conduit les enfants à développer naturellement plusieurs qualités.
- le leadership : qui vient naturellement avec la confiance en soi et l’habitude de se trouver confronté quotidiennement à beaucoup de personnes différentes et des enfants parfois inconnus rencontrés au gré des activités ;
- la tolérance : souvent les enfants IHES n’ont pas l’esprit de clan, mais cherchent à créer des groupes de jeu composés d’enfants d’âges variés.
D’ailleurs, ils ne font pas partie de clans, comme on le voit à l’école : ainsi, que les enfants qu’ils rencontrent soient noirs, blancs, jaunes, fille ou garçon, croyant ou incroyant, bien-portant ou malades… Il n’y a pas de besoin d’une identité qui les pousserait à écarter les autres, à rechercher à ressembler aux copains puisqu’ils ont confiance en eux, savent qui ils sont… Ils apprécient ceux qu’ils rencontrent tels qu’ils sont.- L’école à la maison, une liberté fondamentale — Jean-Baptiste et Marie Maillard
Les Centres
Finalement, le paysage du canton de Vaud ne serait pas ce qu’il est, c’est à dire NOVATEUR, sans l’existence de centres uniques en Europe destinés à soutenir les parents dans leur mission éducative.
Il ne s’agit pas d’écoles, mais bien de lieux de rencontres pour les enfants et les familles. Dans ces espaces, chacun vient et s’en va quand il le souhaite. Pour un tarif très bas, l’ensemble de la famille est inscrite, y compris les grands-parents. Les centres n’interviennent pas dans les projets pédagogiques individuels des familles, mais sont des lieux permettant de favoriser les échanges, la reconstruction de liens sociaux inter-générationnels, la mixité sociale et les projets ou jeux multiâges.
Le Centre FEEL à la Sarraz créé par Mical Vuataz Staquet est pionnier et se décline désormais avec deux collectifs rattachées : Aubonne et Sainte-Croix.
L’Ecolibre est installée dans un éco-quartier sur les hauts de Lausanne. Elle soutient les démarches favorisant l’autonomie de l’enfant.
Centre FEEL — La Sarraz
L’Ecolibre — 1000 Lausanne
Qui évalue la socialisation des enfants ?
L’évaluation générale des enfants est effectuée par les services de la DGEO (Direction Générale de l’Enseignement Obligatoire) SCOLDOM (Scolarisation à Domicile). Des collaborateurs pédagogiques viennent au domicile des parents pour évaluer annuellement l’environnement dans lequel évolue l’enfant, les ressources mises à sa disposition par les parents, ainsi que les mesures qui ont été mises en place pour assurer ses apprentissages et sa socialisation.
En cas de besoin, le collaborateur pédagogique peut exiger des modifications et procéder à autant de visites qui lui semblent utiles.
L’instruction dispensée vise l’acquisition des connaissances et des compétences du Plan d’études romand (PER). (…) Ces exigences visent notamment, en complément aux apprentissages strictement disciplinaires et à l’éducation numérique, à développer l’esprit coopératif et les habiletés nécessaires pour mener à bien des travaux en équipe et des projets collectifs. Elles impliquent ainsi des activités régulières de socialisation.- Ciculaire de la DGEO
Conclusion
Les modèles d’apprentissages des enfants IHES sont les vecteurs de la socialisation des enfants. C’est même la colonne vertébrale de cette démarche. Pour les familles, il serait désormais temps d’en finir avec ce débat.
Peut-être donc une blague qui circule dans le milieu constituerait le meilleur mot de la fin.
Père Noël : Qu’est-ce que tu veux pour Noël ?
Enfant instruit à domicile : Une licorne.
Père Noël : Choisis quelque chose de plus réaliste.
Enfant instruit à domicile : Que les gens arrêtent de me demander si j’ai des copains.
Père Noël : Quelle couleur, la licorne ?
Bibliographie
- DELAHOOKE, M. (1986). Home Educated Children’s Social/Emotional Adjustment and Academic Achievements : A Comprehensive Study. Unpublished doctoral dissertation, California School of Professional Psychology, Los Angeles, 85.
- FORTUNE-WOOD, M. (2005). A Short History of Home Education, Text taken from Appendix 3 of : “The Face of Home education I” Educational Heretics Press, Shrewsbury, 2005.
- MEDLIN, R. G. (2000). Home Schooling and the Question of Socialization, Peabody Journal of Education, 75 (1&2), 107 – 123.
- RAY, B. (2009). Home Education Reason and Research : Common Questions and Research-Based Answers about Homeschooling, NHERI Publications, February 2009.
- RAY, B. (2016). Researh Facts on Homeschooling, 2018, publi sur le site : http://www.nheri.org/research-facts-on-homeschooling/ (consultle 30 juin 2018)
- VAN PELT, D. (2003). Home Education in Canada : A Report on the Pan-Canadian — Study on Home Education 2003. Medicine Hat, AB : Canadian Centre for Home Education.