Publication du Journal 24 Heures — 30 Janvier 2022
Journaliste : Anetka Mühlemann
Le Covid vide les bancs de l’école bien au-delà des cas de maladie ou de quarantaine. Rien que dans le courant de ce premier semestre, 58 enfants ont été dés inscrits de l’école publique vaudoise au profit d’une instruction à domicile. Cela porte à 817 leur nombre total dans le canton, contre 93’009 suivant une scolarité ordinaire, soit 0,81%.
La démarche passe par une simple déclaration adressée au directeur de l’établissement concerné. “Les familles ne précisent pas forcément pourquoi elles prennent cette décision, indique Julien Schekter, porte-parole du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC). Nous observons néanmoins une augmentation depuis décembre dernier.” Cette temporalité coïncide avec un renforcement des tests et une extension du port du masque pour les élèves.
Ces retraits visent surtout à extraire l’apprentissage du contexte pandémique. “Plusieurs familles nous ont appelés pour s’informer, relate Mical Vuataz Staquet, fondatrice du centre Faire l’école en liberté (FEEL), qui offre un espace d’échange et de collaboration aux familles qui ont choisi cette forme d’instruction. Elles ont fait une pesée d’intérêts. La balance penche plus du côté de la maison, car un enfant masqué se trouve dans un confort d’apprentissage moindre. Il est privé d’une communication normale avec les autres. Mais ce sont des situations temporaires.”
Chez certains parents, les mesures sanitaires et l’incertitude générée par de potentielles fermetures de classes ont été la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Chez d’autres, le semi-confinement a plutôt mis l’eau à la bouche. “Il y a eu des situations de quarantaine qui ont permis une petite expérience d’école à domicile note Jeanne Rektorik, coprésidente de l’association Instruire en liberté Vaud (IEL-VD). Certains parents se sont rendu compte qu’avec une pédagogie plus adaptée, qui tient compte du bien-être de l’enfant et de son rythme, il apprend mieux. C’est le cas de figure le plus fréquent.” Pour ce qui est de la motivation principale, deux tiers pointent la souffrance en milieu scolaire, et un tiers le tempo.
En terre vaudoise, la poussée a été plus marquée au début de la pandémie avec 141 nouveaux élèves à domicile lors du pointage de 2020, puis 36 supplémentaires l’années suivante. Avec 817 enfants sous ce régime, Vaud caracole en tête des cantons romands (exception faite de Berne, selon un comparatif de la RTS.) Leur nombre est appelé à croître prochainement. D’après les deux associations, d’autres parents sont en train de s’organiser après avoir été séduits par ce type de scolarité.
“La richesse de l’école à la maison, c’est de pouvoir sortir à tout heure pour apprendre au contact du monde, explique Jeanne Rektorik. L’instruction hors établissement scolaire permet d’acquérir des savoirs académique et des compétences sociales en jouant et en observant ce que font les aînés. L’enfant fait de multiples expériences dans des contextes et des atmosphères différentes, qui vont imprégner sa mémoire et donner du sens aux apprentissages. L’adaptabilité est le maître mot. L’école publique, c’est comme un paquebot, et l’instruction hors établissement scolaire, c’est comme une barque. Alors quand il faut changer de direction, en deux coups de rame, c’est fait. Avec un paquebot, c’est plus compliqué. Mais cela implique d’être proactif pour que l’enfant soit toujours nourri.
Profitant des nouvelles connaissances apportées par les neurosciences, l’instruction hors établissement scolaire est en constante progression depuis 2010. “On atteint une masse critique qui permet de travailler en réseau, signale la coprésidente de IEL-VD. Plusieurs centres permettent même aux familles de se rencontrer physiquement pour échanger leurs expériences, s’entraider ou élaborer des projets pédagogiques.
Vers un cadre plus strict
Garantie par la Constitution vaudoise comme l’une des variantes de l’enseignement privé, cette forme d’instruction doit toutefois suivre le programme officiel. par le biais de l’épreuve cantonale de référence et d’une contrôle annuel à domicile, les autorités veillent au grain. La loi sur l’enseignement privé (LEPr) est toutefois en passe de se durcir.
“La révision de la LEPr vise à s’assurer de la qualité de l’instruction dispensée et à protéger les enfants contre toute emprise religieuse ou sectaire, qui mettrait en cause les chances d’intégration sociale, déclare la ministre socialiste, Cesla Amarelle, cheffe du DFJC. L’objectif est que tous les élèves bénéficient d’un enseignement qui leur permette d’acquérir des connaissances, de développer leur sens critique, d’identifier les faits établis et qu’ils soient en mesure de les distingues des valeurs ou des croyances de chacun. Il est aussi question de leur insertion dans la vie professionnelle.”
Passé en consultation à l’automne 2021, cet avant-projet de loi est en train d’être adapté pour être soumis au parlement dans le courant de l’année. Bien qu’il ne prévoie pas de s’aligner sur Fribourg ou le Valais — qui exigent qu’au moins un des parents soit enseignant -, certaine propositions inquiètent les adeptes du homeschooling.
” Nous cherchons à accompagner la curiosité naturelle de l’enfant. Or, là, ce serait l’école publique à domicile”, relève Mical Vuataz Staquet. Dans cette optique, des critères tels que le niveau de formation des parents, la présentation en amont d’un projet éducatif, ainsi que le recours à une grille horaire posent problème. “On va se mobiliser contre ce projet qui transfère la liberté parentale à l’Etat.” indique Mme. Staquet.
L’envie retrouvée d’étudier
Dans le Chablais vaudois, la pandémie a récemment convaincu un père des bienfaits d’une instruction hors établissement scolaire. Il a accepté de témoigner, mais anonymement.
Cela fait longtemps que nous avions pensé à cette idée de faire l’école à la maison, mais ça nous semblait impossible de nous organiser dans notre vie. On avait une idée théorique comme ça, mais c’est tout. Et puis notre fille était complètement démotivée à l’école, à faire des fiches depuis quatre ans et du bricolage. Toujours la même chose. On aurait supporté s’il n’y avait pas eu les harcèlements et l’école qui n’a pas réagi. Mais bon, là on ne savait pas trop quoi faire. Et on a eu le Covid les uns après les autres avec des quarantaines successives. Ma fille est restée un mois à la maison comme ça. On a vu alors qu’elle était beaucoup plus heureuse et surtout elle avait enfin envie d’étudier des choses, même parfois très scolaires. Et alors là, on s’est organisés et on a trouvé du soutien avec des familles qui ont de l’expériences et on est très contents.”- L’envie retrouvée d’étudier : témoignage d’un père dans le Chablais Vaudois — Journal 24 Heures